Du monde qui nous porte (11)
"Ils diront à la montagne" : discussion virtuelle entre penseurs réunis ici artificiellement par montages/collages + ou - aléatoires de citations diverses ou courts extraits récoltés au fil de lectures éclectiques.
Religion (1)
Ernst Robert Curtius
L’homme crée des outils pour transformer la matière.
Aussi son intelligence est-elle adaptée au monde des corps solides ; ses plus
grands succès, elle les obtient sur le plan mécanique. Mais autant la vie se
trouve protégée sous la conduite de l’instinct, autant elle est menacée par
l’intelligence . Si rien ne s’oppose à elle, elle peut devenir une menace pour
l’existance de l’individu et de la société. Elle ne s’incline que devant les
faits, c’est-à-dire les perceptions. Quand la « nature » a voulu parer aux
dangers de l’intelligence, elle a dû créer des faits, des perceptions fictifs.
Ceux-ci agissent comme des hallucinations, c’est-à-dire qu’ils se représentent
à la pensée comme des faits réels et peuvent influencer l’action. Ainsi
s’explique qu’avec l’intelligence surgisse la superstition. « Seuls les êtres
intelligents sont superstitieux. » La « fonction fabulatrice » a été nécessaire
à la vie. Elle se nourrit d’un reste d’instinct qui nimbe l’intelligence d’une
sorte d’« aura ». L’instinct ne peut intervenir directement pour protéger la
vie. L’intelligence, réagissant seulement aux images de la perception, c’est
l’instinct qui crée des perceptions imaginaires . Celles-ci peuvent se
manifester d’abord comme la conscience imprécise d’une « présence efficace »
(le numen des Romains), puis sous une forme d’« esprits », et seulement très tard
de dieux. La mythologie est un produit tardif et le chemin qui mène au
polythéisme marque un progrès de la civilisation. L’imagination, créatrice de
fictions et de mythes, a tendance à fabriquer des esprits et des dieux.
Théodore Monod
Le désert nous réapprend les gestes naturellement
rituels, inscrits, voire érigés par le cosmos. Un homme soumis à la modernité
et au béton est démuni dans un tel monde, s’il ne se rénégère pas aux deux
niveaux essentiels qui le structurent verticalement et horizontalement : la
Terre et le ciel. Le citadin n’est plus le fils de ces deux éléments
nourriciers. Cette éternelle division entre Matière et Esprit doit cesser,
comme cette idée trop répandue que le scientifique est le premier adepte de
cette césure. La Matière est animée par l’Esprit. La montée de la vie et celle
de l’esprit sont liées. Certains individus sont porteurs d’espoir. Quelques
consciences sont capables de résister à la tradition guerrière. Une poignée de
résistants ne se laisse pas domestiquer par la mise en condition générale. Les
contestataires, même s’ils sont une goutte d’eau dans la mer, touchent les
gens, ouvrent des esprits.
Luc Ferry
Il est clair
que toute culture digne de ce nom, toute œuvre d’envergure, est à la fois
particulière, enracinée dans un espace et dans un temps déterminés, et
universelle, dotée de significations accessibles à d’autres hommes que ceux qui
composent la communauté d’origine. C’est par là qu ‘elle devient singulière,
qu’elle forme une « individualité », s’il est vrai que le singulier est la
réconciliation du particulier et de l’universel.
« Si deux sont l’un avec l’autre en paix dans la même maison, ils diront à la montagne « Déplace-toi ! » et elle se déplacera. » Evangile apocryphe de Thomas, 53
Ernst Robert Curtius, « La littérature européenne et le Moyen Âge
latin »
Théodore Monod, « Le chercheur d’absolu »
Luc Ferry, « Le nouvel Ordre écologique »